La « clause de sauvegarde dispositifs médicaux », l’occasion de faire un bilan critique à l'aune de la « clause de sauvegarde médicaments »

Depuis 2017, la régulation financière applicable aux dispositifs médicaux se rapproche, peu à peu, de celle des spécialités pharmaceutiques.

La « clause de sauvegarde médicaments », créée par la loi de financement de la sécurité sociale (« LFSS ») pour 1999, est un dispositif de régulation financière du marché des spécialités pharmaceutiques. Ce dispositif a pour objectif de limiter la dépense de l’assurance maladie et, in fine, de « sanctionner » les exploitants les plus contributeurs à cette dépense. Ce dispositif se déclenche au-delà d’un seuil d’accroissement fixé par le Gouvernement par rapport à l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (« ONDAM »).

Un dispositif analogue de régulation financière vient d’être introduit par la LFSS pour 2020 concernant les produits de santé.

Si la parenté entre ces deux régimes paraît évidente, les similitudes constatées ne se laissent pas résumer à un atavisme juridique. Plusieurs axes de réflexion permettent d'en distinguer les nuances les plus significatives.

Le « coût » de l’innovation en matière de produits de santé

La clause de sauvegarde applicable aux dispositifs médicaux introduite par la LFSS pour 2020, pose en filigrane la question du « coût » de l'innovation en matière de produits de santé.

En effet, cette contribution, déclenchée et calculée collectivement, puis répartie entre chaque redevable, a pour objectif de réguler le marché de l’innovation. Elle vise uniquement les dispositifs médicaux innovants inscrits sur la liste des produits et prestations remboursés (« LPPR ») et pris en charge par l’assurance maladie « en sus » des prestations d’hospitalisation (titres III et V de la LPPR). Le surcoût de cette innovation est actuellement fixé à +3% de l’ONDAM.

Le dispositif de régulation du marché des spécialités pharmaceutiques a un champ d'application bien plus large. La clause de sauvegarde applicable aux médicaments vise ainsi tant les spécialités faisant l’objet d’un prix administré (du moins avant 2020 – voir infra), que celles prises en charge au titre de l’accès précoce (« ATU/post-ATU »). Il est à craindre que les médicaments financés intra GHS y soient également intégrés lors de la prochaine loi de financement, étant donné que la LFSS pour 2020 a introduit la possibilité de limiter les derniers prix libres à l’hôpital. L'avenir dira si les fruits passent la promesse des fleurs…

Les différences de taux posent aussi question au regard de la construction de l’ONDAM.

Autre différence majeure, l’assiette de la régulation applicable au marché des dispositifs médicaux est fondée sur les « montants remboursés » par l’assurance maladie, alors que la clause de sauvegarde applicable aux spécialités pharmaceutiques (désormais « Contribution M »), est, quant à elle, basée sur le « chiffre d’affaires hors taxes réalisé » par les laboratoires – hors taux de remboursement.

Les députés, auteurs de la deuxième saisine du Conseil constitutionnel, avaient remis en cause cette base de calcul fondée sur la dépense réelle de l’assurance maladie, au nom des « facultés contributives » ou du « bénéfice » des laboratoires exploitants. On se félicite que le Conseil constitutionnel ait écarté ce grief.

La prise en compte des « montants remboursés » au titre des dispositifs médicaux répond, en effet, à l’objectif de régulation des dépenses de l’assurance maladie, en lien avec la dépense effective. Cette assiette constitue le seul élément de « justice fiscale » de ce dispositif de régulation, dont ne bénéficient pas les exploitants de médicaments.

Le plafond de Contribution (10%) est en revanche basé sur le chiffre d’affaires hors taxes, comme pour la contribution applicable aux spécialités pharmaceutiques.

L'exclusion des « remises » accordées aux établissements de santé

Les remises accordées aux établissements de santé ne seront naturellement pas incluses, même indirectement, dans l’assiette de la clause de sauvegarde applicable aux dispositifs médicaux.

On s’étonne que le Conseil constitutionnel ait cru utile de prononcer une réserve d’interprétation relative à la non prise en compte de l’écart technique indemnisable (« ETI ») prévu à l’article 165-7 du code de la sécurité sociale (« CSS »).

En effet, les montants remboursés « au titre » des dispositifs médicaux inscrits sur la « liste en sus », ne sauraient inclure un dispositif incitatif, entre l’assurance maladie et l’établissement de santé, conduisant à négocier des prix bas avec les exploitants.

De fait, l’ETI n’est pas une modalité de prise en charge du produit dispensé au patient au titre de son inscription sur la « liste en sus », mais un mécanisme d’intéressement pour les établissements de santé —  lorsque ceux-ci achètent un dispositif médical à un prix inférieur au tarif de remboursement fixé par le CEPS. Les établissements se voient alors verser, en sus du remboursement du produit, une prime correspondant à 50% de la remise négociée.

Le montant de remboursement majoré résulte donc exclusivement des rapports entretenus entre l’établissement de santé et la Caisse nationale d’assurance maladie (« CNAM »). La « prestation ETI » est distincte du prix d’achat du produit sur la demande de remboursement transmise par l’établissement.

Dès lors, au regard de l'objet de la contribution, destinée à prélever les exploitants sur leurs ventes de dispositifs pris en charge « en sus », il aurait été injustifié que l’exploitant soit imposé à raison d’un chiffre d’affaires non réalisé. Tel a précisément été le sens des observations du Gouvernement, selon lesquelles « seuls les montants remboursés correspondant à une rémunération versée à l’exploitant sont pris en compte,… le remboursement n’est pris en compte, pour l’application de la clause de sauvegarde, qu’à hauteur du prix réellement facturé par l’exploitant ».

Le calcul de la clause de sauvegarde applicable aux dispositifs médicaux, même s’il repose sur les montants remboursés, devra bien être effectué par l’Urssaf (et le CEPS désormais autorité de « contrôle ») à partir des déclarations des exploitants de leur « chiffre d'affaires réalisé au cours de l'année au titre de laquelle la contribution est due, avant le 1er avril de l'année suivante » (article L.138-19-12 du CSS nouveau).

C’est pourquoi, la loi prévoit également que les montants des dépenses de la CNAM, ou les données du Programme de médicalisation du système d’information (« PMSI »), devront être transmis à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (« Acoss ») (article L.138-19-9 du CSS nouveau). Le décret devra en préciser les modalités pratiques. Les données de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (« ATIH »), en charge de la collecte des données PMSI, permettront ainsi de croiser les informations entre le chiffre d’affaires déclaré par les exploitants et les produits codés au sein des établissements. Ces différents montants devront être retraités par l’Urssaf.

La prise en compte des « remises » versées à l’assurance maladie

Les « remises » versées à l’assurance maladie viennent réduire l’assiette de la contribution, qui ne pèsera pas sur cette part de chiffre d’affaires reversée à la CNAM.

Qu’il s’agisse des « remises » prévues dans les conventions avec le CEPS (peu fréquentes encore et récemment légiférées dans leur principe - LFSS pour 2017) ou des « remises » relatives au nouveau dispositif d’accès précoce (LFSS pour 2019), ces dernières viennent réduire l’assiette de la clause de sauvegarde applicable aux dispositifs médicaux.

Ce n’était pas le cas pour les exploitants de médicaments avant l’année 2015 ainsi que de 2017 à 2019, ceux-ci ayant été pénalisés au titre d’un chiffre d’affaires reversé à la solidarité nationale.

La déduction de ces différentes « remises » soulève néanmoins des difficultés de calendrier eu égard aux dates de déclaration et de paiement à l’Urssaf. Elle rend également très délicate l’anticipation du montant de ces clauses de sauvegarde.

L’absence de rétroactivité du nouveau dispositif, dans l’esprit de cette réforme, est également à relever. Le Gouvernement n’anticipe aucune recette liée à cette contribution en 2020, mais un effet incitatif à consentir des prix remisés. A l’inverse, la clause de sauvegarde médicaments et ses modifications successives, par les différentes lois de financement, se sont, à plusieurs reprises, appliquées à l’année échue, cette rétroactivité ayant été validée par le Conseil constitutionnel.

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Sans céder à un quelconque esprit chagrin, les inégalités de traitement nourriront sans doute des contentieux individuels d'exploitants de dispositifs médicaux et de spécialités pharmaceutiques, seuls à pouvoir aboutir en la matière s’agissant de dispositifs qui n’ont pas été invalidés lors du contrôle a priori du Conseil constitutionnel.


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