Le PLFSS pour 2021 ne purge pas la « clause de sauvegarde médicaments » de ses vices, bien au contraire

Face à l’ensemble de ses limites, force est de constater que la « clause de sauvegarde médicaments » se révèle un mécanisme toujours plus opaque, inéquitable et inadapté à une juste régulation. Ses contours répondent davantage à une logique d’opportunité qu’à une stratégie de régulation financière d’ensemble qui tiendrait compte des spécificités du marché des spécialités pharmaceutiques et des potentialités que ces dernières recèlent : enjeu de souveraineté, facteurs d’économies de long terme, innovation au service de la santé des patients, etc. Autant d’enjeux majeurs sacrifiés sur l’autel d’une vision purement budgétaire court-termiste incarnée dans la surenchère permanente de régulation.

La clause de sauvegarde (« CDS ») médicaments (dite aussi « contribution M »), créée par la loi de financement de la sécurité sociale (« LFSS ») pour 1999, est un dispositif de régulation financière du marché des spécialités pharmaceutiques. Elle a pour objectif de limiter la dépense de l’assurance maladie en imposant une charge financière plus importante aux exploitants les plus contributeurs à cette dépense. Ce mécanisme se déclenche au-delà d’un seuil d’accroissement fixé par le Gouvernement par rapport à l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Un dispositif analogue de régulation financière a été introduit par la LFSS pour 2020 concernant certains dispositifs médicaux les plus coûteux (dit « contribution Z »).
 
La CDS est régulièrement placée sous le feu des critiques, y compris par la Cour des comptes. Loin de ne se déclencher que lorsque la hausse des dépenses de médicaments le justifie, il semble en effet qu’au moyen de manipulations comptables et d’une rédaction orientée des avenants de prix conclus avec le Comité économique des produits de santé (« CEPS »), les organismes de sécurité sociale la déclenchent à leur guise quand une CDS spécifique n’est pas tout simplement créée ex nihilo. Ainsi, le Gouvernement a renoncé in extremis à introduire par le projet de LFSS pour 2021 (« PLFSS pour 2021 ») une CDS sur les immunothérapies cancéreuses là où, de 2014 à 2016, les traitements de l’hépatite C ont été soumis non seulement à la CDS classique mais aussi à une CDS spécifique. Preuve en est que la CDS ne remplit pas ses objectifs. Passons aussi sur le fait que les assiettes comme les montants induits par la CDS sont modifiés presque à chaque LFSS, nuisant à la prévisibilité et à la sécurité juridique, alors que les processus d’accès au marché s’étalent sur plusieurs exercices.
 
A l’heure où le taux de la contribution de base sur le chiffre d’affaires pourrait être augmenté par la LFSS pour 2021, l’absence de lisibilité, de prévisibilité mais aussi le caractère inéquitable de la CDS atteint son apogée. L’occasion de revenir sur certaines des limites de cette clause et notamment les ruptures d’égalité qu’elle suscite.
 
Les remises prétendument « exonératoires » et au surplus désormais indexées sur les baisses de prix net
 
Le PLFSS pour 2021 modifie l’accès au versement de la CDS sous forme de « remises ».
 
Ces versements sont qualifiés à tort d’« exonératoires » car ils correspondent uniquement à une réduction du montant de CDS lui-même invérifiable.
 
Jusqu’alors, en cas de déclenchement de la CDS, la signature par un laboratoire d’un avenant de régulation financière avec le CEPS lui permettait de bénéficier d’une décote dans la limite de 20%. A l’opacité de base s’ajoute désormais que ce système bancal va être utilisé pour forcer à des baisses de prix net. En effet, dorénavant, le laboratoire devra en principe verser des « remises » d’un montant égal ou supérieur à 95%. Toutefois, ce seuil pourra être abaissé jusqu’à 80% en fonction des baisses de prix net négociées avec le CEPS en application d’un barème défini par les ministres.
 
L’indexation de la CDS sur les baisses de prix net est surprenante à l’heure où la transparence sur les prix net est définitivement abandonnée, à raison de son inapplicabilité, et que le CEPS ne cesse quant à lui de prôner les baisses de prix « listes ».
 
Elle constitue de surcroît une atteinte à la liberté contractuelle. Ce qui est pudiquement qualifié de mécanisme incitatif dans l’exposé des motifs du PLFSS pour 2021 consiste en fait à forcer à la conclusion de baisses de prix net avec le CEPS. Le Conseil constitutionnel avait jugé que le mécanisme de « remises ATU » modifié par la LFSS pour 2017 ne caractérisait pas une atteinte à la liberté contractuelle, il est possible d’en douter fortement au cas d’espèce.
 
Par ailleurs, elle méconnaît les caractéristiques de certaines spécialités, notamment les génériques. Ces derniers n’ont pas de prix net. Ne bénéficieront-ils dès lors que de 5% de décote ? Voilà qui romprait non seulement avec l’objectif historique de la CDS de limiter l’impact des médicaments les plus coûteux sur la progression des dépenses d’assurance maladie mais encore avec le principe d’égalité.
 
Enfin, comment concilier la prévisibilité, désormais chimère de la CDS, avec ces exigences de baisses de prix net ? Après un amendement adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, le PLFSS pour 2021 prévoit désormais une prévisibilité au 1er septembre mais le CEPS n’a pas les moyens d’anticiper une juste régulation, comme en témoignent les surrégulations ces dernières années.
 
Des assiettes reposant sur des « chiffres d’affaires » différents pour des dispositifs de régulation financière poursuivant la même finalité
 
Au-delà des inégalités résultant des différences de taux entre les CDS, l’assiette elle-même est contestable.
 
Néanmoins, le PLFSS pour 2021 n’a pas modifié l’assiette de la CDS pour les médicaments, laquelle reste assise sur le chiffre d’affaires hors taxes réalisé pour les médicaments en ville et à l’hôpital hors agrément collectivités.
 
Elle maintient donc une inégalité avec la CDS applicable aux dispositifs médicaux, assise quant à elle sur les seuls montants remboursés par l’assurance maladie.
 
Dans l’un et l’autre cas, il s’agit pourtant de contributions ayant vocation à réguler les dépenses d’assurance maladie et non le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises du secteur.
 
Un périmètre dépourvu de toute vision stratégique en matière d’innovation
 
En sus des différences résultant du « chiffre d’affaires » pris en compte, l’appréhension de l’innovation par les CDS s’avère, au mieux, lacunaire et dépourvue de cohérence.
 
La CDS applicable aux dispositifs médicaux porte uniquement sur ceux inscrits sur la « liste en sus », en filigrane les plus innovants, alors que la CDS pour les médicaments porte sur tout le marché à l’exception du marché hospitalier à prix non régulé, exception qui perd d’ailleurs de son sens.
 
Autre différence notable, les spécialités prises en charge dans le cadre d’une ATU (autorisation temporaire d’utilisation) sont incluses dans la CDS pour les médicaments depuis 2015 alors que les dispositifs médicaux pris en charge de façon dérogatoire ne le sont pas. Les ATU subissent dès lors une double peine. En effet, elles sont déjà régulées par les « remises ATU » dont l’impact n’est pas totalement lissé en l’état des dispositions applicables.
 
La réintégration dans l’assiette de la CDS des médicaments orphelins par la LFSS pour 2019 constitue un autre exemple de défaut de vision stratégique.
 
Le principe d’une clause indifférenciée est inadapté. Il n’est pas pertinent de réguler de la même façon les spécialités matures traitant des affections de longue durée et les innovations qui permettent de traiter en « one shot » des patients, comme les CAR-T ou le cœur artificiel.
 
L’enjeu de l’incitation à l’innovation apparaît crucial, pour les médicaments comme pour les dispositifs médicaux, alors que plusieurs innovations thérapeutiques majeures doivent accéder prochainement au marché.
 
Dans le cadre des discussions sur le PLFSS pour 2021, un amendement en première lecture avait pour ambition d’exclure les technologies et produits les plus innovants[1] de l’assiette de la CDS pour les dispositifs médicaux. Malheureusement, cet amendement a été rejeté. Cette absence de vision envoie un message négatif aux entreprises innovantes.
 
Les deux CDS s’avèrent donc des dispositifs inadaptés et inégalitaires au regard des enjeux d’innovation et appellent une réflexion d’ensemble.
  
L’inclusion des génériques et biosimilaires qui rompt avec l’objectif historique
 
Le manque de finesse de la CDS sur les médicaments n’apparaît pas uniquement du point de vue des freins à l’innovation.
 
Les spécialités génériques ne sont plus exonérées de la CDS depuis 2019 alors qu’elles l’étaient historiquement, soit en application de l’accord-cadre, soit en application de la loi. L’amoindrissement de leur exonération a commencé par une rédaction plus restrictive de la LFSS pour 2015 et de l’accord-cadre du 31 décembre 2015 distinguant le régime applicable aux génériques sous TFR (tarif forfaitaire de responsabilité) ou non. Le CEPS a maintenu une période de flou depuis, jonglant avec une décote appliquée de façon inégalitaire.
 
Dans l’attente du nouvel accord-cadre, l’absence de mesure légale en ce sens ne laisse de surprendre. Les autorités sanitaires désignent les génériques et les biosimilaires comme un levier majeur de maîtrise des dépenses d’assurance maladie. Pour autant, aucune dérogation à la régulation n’est prévue pour ces spécialités.
 
Le PLFSS pour 2021 ne contient toutefois pas de mesures à cette fin. Exclure les spécialités génériques et les biosimilaires de son assiette ou, à tout le moins, introduire un abattement en leur faveur, correspondrait pourtant à l’objectif historique de la CDS sur les médicaments. Preuve en est encore une fois que la cohérence de cette contribution nécessite d’être revue.
 
Un amendement en ce sens a été introduit dans le cadre des discussions sur le PLFSS mais il n’a pour le moment pas été retenu.
 
Là encore, comme sur tant d’autres sujets, le PLFSS pour 2021 n’est pas à la hauteur des enjeux.
 

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Au projet de CDS sur les immunothérapies cancéreuses a été substitué dans le PLFSS pour 2021 un « rapport sur l’avenir de la clause de sauvegarde et des mécanismes actuels de soutenabilité des dépenses des médicaments face au développement des biothérapies », en ce compris les CAR-T.
 
S’il n’était pas limité aux seules biothérapies, ce rapport pourrait être l’occasion de rompre avec la seule logique budgétaire et court-termiste de la CDS pour les médicaments, en favorisant une remise à plat globale de ce dispositif de régulation financière.

Charlotte Damiano, associée

Jean-Baptiste Chagnon, collaborateur


[1] Au sens des technologies prometteuses bénéficiant du dispositif d’accès précoce mis en place à l’article L.165-1-5 du code de la sécurité sociale ou des produits innovants justifiant d’une amélioration du service attendu de niveau I, II ou III délivrée par la Haute Autorité de santé.


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