Présentation de l’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises à l’urgence sanitaire

Le gouvernement français a adopté, en application de la loi d’habilitation n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, une ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 qui porte adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises à l’urgence sanitaire (l’ « Ordonnance »).

L’Ordonnance a été complétée d’une circulaire du ministre de la justice n°CIV/03/20 en date du 30 mars 2020 (la « Circulaire »).

La présente note a pour objet de présenter les principales dispositions de l’Ordonnance, lesquelles ont pour but d’adapter les règles régissant tant les procédures amiables que les procédures collectives aux conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19.

La présente note ne traite pas des dispositions de l’Ordonnance relatives aux exploitations agricoles et à la procédure pénale.

1. DISPOSITIONS D’ADAPTATION DES PROCEDURES AMIABLES

1.1 Allongement automatique de la durée des procédures de conciliation en cours

Jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (soit, en l’état, jusqu’au 24 août 20201), la durée des procédures de conciliation en cours est automatiquement prolongée d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire + trois mois (soit, en l’état, prolongée d’une durée de cinq mois)2.

1.2 Suppression du délai de carence de trois mois entre deux procédures de conciliations successives

Jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (soit, en l’état, jusqu’au 24 août 20203), l’Ordonnance supprime le délai de carence de trois mois entre deux procédures de conciliation successives4, autorisant ainsi l’ouverture d’une seconde procédure de conciliation immédiatement après l’échec d’une première procédure de conciliation.

2. DISPOSITIONS D’ADAPTATION DES PROCEDURES COLLECTIVES

2.1 Appréciation au 12 mars 2020 de l’état de cessation des paiements du débiteur

Jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit, en l’état, jusqu’au 24 août 20205), l’état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur au 12 mars 20206.

Cette cristallisation des situations au 12 mars 2020 permet aux entreprises de bénéficier des procédures préventives (procédures de mandat ad hoc, de conciliation et de sauvegarde) même si, après le 12 mars 2020 et pendant la période correspondant à l’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois, elles connaissent une aggravation de leur situation telle qu’elles seraient alors en cessation des paiements7.

En revanche, le débiteur (et lui seul) pourra toujours demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire si son état de cessation des paiements survient pendant la crise sanitaire (ce qui lui permettra notamment de bénéficier de la prise en charge des salaires par l’AGS8).

La fixation au 12 mars 2020 de la date de l’appréciation de l’état de cessation des paiements est ainsi conçue dans le seul intérêt du débiteur, ce qui évite, notamment, (i) que les dirigeants ne s’exposent à des sanctions personnelles pour avoir déclaré tardivement cet état de cessation des paiements ou (ii) que le débiteur soit assigné en redressement ou en liquidation judiciaire par un créancier ou le ministère public du fait d’un état de cessation des paiements qui serait intervenu pendant la crise sanitaire.

Toutefois, il convient de réserver les possibilités de fraude aux droits des créanciers, tant de la part du débiteur que d’autres créanciers, ce qui justifie également le maintien de l’application des dispositions relatives aux nullités de la période suspecte.

2.2 Adaptation de la durée des procédures collectives

(a) Prorogation de plein droit de certains délais

Jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit, en l’état, jusqu’au 24 juin 2020), l’Ordonnance prolonge de plein droit, sans qu’il soit nécessaire de déposer une requête, de tenir une audience ou de rendre un jugement, la durée de certains délais.

i. Allongement de la durée de la période d’observation

La durée de la période d’observation est prolongée de plein droit d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire + un mois (soit, en l’état, prolongée d’une durée de trois mois), rendant de ce fait inutile la formulation d’une demande de prolongation (i) au-delà des six premiers mois par le débiteur, l’administrateur judiciaire ou le ministère public et (ii) au-delà des douze premiers mois, par le ministère public9.

ii. Allongement de la durée des plans de sauvegarde et de redressement

La durée des plans de sauvegarde ou de redressement judiciaire est prolongée de plein droit d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire + un mois (soit, en l’état, prolongée d’une durée de trois mois). A cette prolongation de plein droit de la durée des plans, s’ajoute une possibilité de prolongation judiciaire de cette durée (cf. point 2.2.b infra)10.

iii. Allongement de la durée de la période de liquidation judiciaire avec maintien de l’activité

La durée de la période de liquidation judiciaire avec maintien de l’activité (en principe de trois mois, prorogeable de trois mois supplémentaires) est prolongée de plein droit d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire + un mois (soit, en l’état, prolongée d’une durée de trois mois)11.

iv. Allongement de la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée

La durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée (en principe de six mois ou un an, prorogeable de trois mois supplémentaires) est prolongée de plein droit d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire + un mois (soit, en l’état, prolongée d’une durée de trois mois)12.

(b) Prorogation au cas par cas des délais imposés aux organes de la procédure

L’Ordonnance tire les conséquences de l’impossibilité, pour les organes de la procédure, de respecter les délais habituels.

L’Ordonnance prévoit ainsi que, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire prorogée de trois mois (soit, en l’état, jusqu’au 24 août 2020), le Président du tribunal, statuant sur requête de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire, du liquidateur ou du commissaire à l’exécution du plan, pourra prolonger les délais qui sont imposés à ces derniers d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire + trois mois (soit, en l’état, d’une durée de cinq mois)13.

Il appartiendra au Président du tribunal d’apprécier, au cas par cas, dans quelle mesure les circonstances exceptionnelles justifient une prolongation de ces délais.

(c) Suppression de l’audience amenée à statuer sur la poursuite de la période d’observation

Pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire prorogée d’un mois (soit, en l’état, jusqu’au 24 juin 2020), l'audience statuant, dans les deux mois du jugement d'ouverture, sur le maintien de la période d'observation, est supprimée14.

Cette adaptation ne fait pas obstacle à ce que le tribunal puisse, le cas échéant, être saisi d’une demande de conversion de la procédure.

(d) Prorogation judiciaire de la durée des plans de sauvegarde et de redressement sur requête du commissaire à l’exécution du plan et/ou du ministère public

Pendant la période correspondant à l’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois, le Président du tribunal, peut, sur requête du commissaire à l’exécution du plan, prolonger la durée des plans de sauvegarde et de redressement d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire + trois mois (soit, en l’état, d’une durée de cinq mois)15. Pendant cette période, le ministère public peut également demander au Président du tribunal de proroger la durée des plans de sauvegarde ou de redressement pour une durée maximale d’un an16.

Pendant un délai de six mois à compter de l’expiration la période correspondant à l’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois, seul le tribunal, pourra, sur requête du commissaire à l’exécution du plan ou du ministère public, prolonger la durée des plans de sauvegarde et de redressement pour une durée maximale d’un an17.

La Circulaire précise que les possibilités de prorogation du plan susvisées, même si elles permettent une application cumulative, doivent être utilisées avec prudence.

Ces prolongations de la durée du plan sont possibles sans devoir respecter la procédure contraignante d’une modification substantielle du plan initialement arrêté par le tribunal, laquelle reste par ailleurs envisageable.

2.3 Facilitation de la prise en charge des salaires et indemnités par l’AGS

Deux mesures sont mises en place pour faciliter la prise en charge des salaires et indemnités de licenciement par l’AGS après l’ouverture d’une procédure collective.

(a) Accélération de la prise en charge du paiement des créances salariales par l’AGS

L’Ordonnance prévoit que, pendant une période correspondant à l’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois, les relevés des créances résultant d’un contrat de travail sont transmis directement et sans délai par le mandataire à l’AGS, sans être soumis préalablement au représentant des salariés et sans être visés préalablement par le juge-commissaire18.

L’ordonnance n’écarte pas l’intervention du représentant des salariés ni du juge-commissaire dans ce processus, mais permet, sans attendre leur intervention, une transmission par le mandataire judiciaire à l’AGS des relevés de créances salariales qui déclenchent le versement des sommes par cet organisme, ce qui accélère ainsi la prise en charge du paiement des créances salariales par l’AGS.

(b) Allongement des délais au sein desquels les licenciements doivent être mis en œuvre pour bénéficier de la garantie de l’AGS

Jusqu'à l'expiration d'un délai d’un mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (soit, en l’état, jusqu’au 24 juin 2020), les délais au sein desquels les licenciements doivent être mis en œuvre pour bénéficier de la garantie de l'AGS19  sont prorogés d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire + un mois (soit, en l’état, d’une durée de trois mois)20.

3. DISPOSITIONS ASSOUPLISSANT LES FORMALITES PROCEDURALES APPLICABLES AUX PROCEDURES AMIABLES ET COLLECTIVES

3.1 Assouplissement de la saisine du tribunal par le débiteur

L’Ordonnance prévoit que, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire (soit, en l’état, jusqu’au 24 juin 2020) :

  • les actes par lesquels le débiteur saisit la juridiction font l'objet d'une remise au greffe par tout moyen21 ;
  • le débiteur insère, dans l’acte de saisine de la juridiction, une demande d'autorisation de ne pas se présenter à l'audience et de formuler ses prétentions et ses moyens par écrit (Art. 446-1, C. proc. civ.) ; et
  • lorsque la procédure relève de sa compétence (i.e. notamment s’agissant des procédures de mandat ad hoc et de conciliation), le Président du tribunal peut recueillir les observations du demandeur par tout moyen.

3.2 Assouplissement des communications entre le greffe et les organes de la procédure

L’Ordonnance prévoit que, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit, en l’état, jusqu’au 24 juin 2020), les communications entre le greffe du tribunal, l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire ainsi qu'entre les organes de la procédure se font par tout moyen22.

4. MISE A L’ECART DES DISPOSITIONS DE DROIT LOCAL APPLICABLES AUX PROCEDURES AMIABLES ET COLLECTIVES

Les dispositions du droit local applicables en Moselle et dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sont provisoirement écartées pour faciliter la tenue d’audiences dans des conditions compatibles avec les mesures d’urgence sanitaire23.


1L’état d’urgence sanitaire a débuté le 24 mars 2020 pour une période de deux mois (soit jusqu’au 24 mai 2020)
2Art.1er, II, venant modifier l’art. L. 611-6 du Code de commerce
3L’état d’urgence sanitaire a débuté le 24 mars 2020 pour une période de deux mois (soit jusqu’au 24 mai 2020)
4Art. 1er, II, venant modifier l’art. L. 611-6 du Code de commerce
5L’état d’urgence sanitaire a débuté le 24 mars 2020 pour une période de deux mois (soit jusqu’au 24 mai 2020)
6Art. 1er, I de l’Ordonnance
7Rapport au Président de la République
8Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés
9Art. 2, II, 1° de l’Ordonnance modifiant l’art. L. 621-3 du Code de commerce
10Art. 2, II, 1° de l’Ordonnance
11Art. 2, II, 2° de l’Ordonnance modifiant l’art. L. 641-10 du Code de commerce
12Art. 2, II, 2° de l’Ordonnance modifiant l’art. L. 644-5 du Code de commerce
13Art 2, IV, de l’Ordonnance
14Art. 2, I, 1° de l’Ordonnance, modifiant l’art. L. 631-15, I du Code de commerce
15Art. 1er, III, 1° de l’Ordonnance, modifiant les art. L. 626-12 et L. 631-19 du Code de commerce
16Art. 1er, III, 1° de l’Ordonnance, modifiant les art. L. 626-12 et L. 631-19 du Code de commerce
17Art. 1er, III, 1° de l’Ordonnance, modifiant les art. L. 626-12 et L. 631-19 du Code de commerce
18Art. 1er, I, 2° de l’Ordonnance
19En application de l’art. L. 3253-8 du Code du travail, les licenciements doivent intervenir, en principe, (i) dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession, (ii) dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation et (iii) pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.
20Art 2, II, 2° de l’Ordonnance, modifiant l’art. L. 3253-8, 2° du Code du travail
21Art. 2, I, 2° de l’Ordonnance
22Art. 2, I, 3° de l’Ordonnance
23Art 5, II de l’Ordonnance, modifiant l’art. R. 670-1 du Code de commerce




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