Les perspectives de redressement d'une filiale peuvent désormais s'apprécier au regard de la situation du groupe

L'autonomie de la personne morale, principe fondateur du droit des sociétés, atteint ses limites face aux réalités économiques d'un groupe de sociétés.

Ce constat est particulièrement flagrant en droit des procédures collectives, et la position de la Cour de cassation laissait peu de place au pragmatisme en la matière. 

Au stade de l'ouverture de la procédure, elle considère notamment que "pour l'ouverture de la procédure de sauvegarde d'une filiale, il est indifférent de savoir quelle sera la position que prendra la société mère dans le cadre de la période d'observation et de l'éventuelle élaboration d'un plan de sauvegarde et que la situation de la société débitrice doit être appréciée en elle-même, sans que soient prise en compte les capacités financières du groupe auquel elle appartient" (position notamment cristallisée dans un arrêt du 26 juin 2007, no 06-20820).  

L'application inflexible du principe d'autonomie de la personne morale devient toutefois de moins en moins tenable. Le Règlement Insolvabilité 2015/848 a déjà dépassé ce carcan en introduisant un dispositif de traitement des groupes de sociétés en difficulté (articles 56 et suivants). La compétence des tribunaux de commerce français fait également l'objet d'aménagements procéduraux en présence de sociétés contrôlantes ou contrôlées pour assurer l'adoption d'une solution cohérente à l'échelle du groupe (article L. 662-8 du Code de commerce). 

Par cinq arrêts rendus le 19 décembre 2018, la Cour de cassation nuance de façon opportune sa position au stade de l'adoption du plan. En juillet 2015, un tribunal a ouvert des procédures de redressement judiciaire à l'encontre de chacune des sociétés d'un groupe, dont la société mère, Stirca. En février 2017, le même tribunal a arrêté le plan de redressement de la société mère, et a prononcé la liquidation judiciaire de chacune des filiales, que ces dernières ont contesté jusqu'en cassation. 

La Cour de cassation rejette les pourvois des filiales mais condamne toutefois l'approche de principe adoptée par la cour d'appel consistant à apprécier de manière isolée la situation financière des filiales et leurs perspectives de redressement. La Cour de cassation maintient sa position au stade de l'ouverture de la procédure en rappelant que "le principe d'autonomie de la personne morale impose d'apprécier séparément les conditions d'ouverture d'une procédure collective à l'égard de chacune des sociétés d'un groupe" mais fait évoluer sa position au stade de l'adoption du plan en retenant que "rien n'interdit au tribunal, lors de l'examen de la solution proposée pour chacune d'elles, de tenir compte, par une approche globale, de la cohérence du projet au regard des solutions envisagées pour les autres sociétés du groupe".

En d'autres termes, si le tribunal doit toujours mener une analyse isolée lors de l'ouverture de la procédure d'une personnelle morale, il peut désormais adopter une approche globale et prendre en compte la situation du groupe dans l'élaboration des solutions propres à chacune des sociétés en difficulté. 

En pratique, il nous semble que les juges ne pourront effectivement prendre en compte les capacités du groupe qu'à la condition que des engagements fermes aient été pris par les actionnaires dans le projet de plan et intégrés dans le business plan de la filiale.  

Cette solution, largement saluée par les auteurs, mérite complète approbation par la dose de pragmatisme économique qu'elle insuffle au droit français de l'insolvabilité, et par l'alignement qu'elle opère avec le droit européen de l'insolvabilité. 

Reste à espérer que les juridictions du fond se saisiront de cette nouvelle possibilité. 


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