Publications | 28 novembre 2016
Procédures d'insolvabilité : vers un Chapter 11 européen
Le Règlement UE n°2015/848 du 20 mai 2015 réformant le Règlement 1346/2000 relatif aux procédures d'insolvabilité entrera en vigueur le 26 juin 2017. Si le Règlement concerne essentiellement les règles procédurales (compétence territoriale notamment), la Commission européenne a publié mardi 22 novembre une proposition de directive, visant cette fois à la mise en place d'un droit matériel harmonisé des procédures d'insolvabilité (qui entraînerait donc une modification des législations nationales).
Les règles des 28 pays de l'Union sont jugées extrêmement disparates par la Commission, avec des taux de recouvrement (considérés comme étroitement corrélés aux possibilités de restructuration) variant de 30 à 90%, la France se situant au-dessus de la moyenne européenne, à 78%.
La proposition de directive vise à atteindre un niveau minimal d'harmonisation au sein de l'UE par :
1. la mise en place de principes communs pour l'utilisation des procédures préventives ;
2. l'octroi d'une "seconde chance" aux entrepreneurs personnes physiques, notamment par un effacement de leurs dettes dans un délai maximal de trois ans ; et
3. des mesures pour améliorer l'efficacité des procédures collectives.
Exigences minimales
Aux termes de la proposition, les exigences minimales qui devront être respectées par les Etats Membres consisteraient notamment en la mise en place d'une procédure disponible en cas de "faillite probable" (likelihood of insolvency), dont les principales caractéristiques seraient les suivantes :
- une implication des tribunaux et des pouvoirs publics (administrative authorities) réduite à ce qui est nécessaire et proportionné à la sauvegarde des droits des différentes parties ;
- le non recours systématique à un administrateur judiciaire (ou à un organe équivalent) et le maintien en place du management (debtor in possession) ;
- la limitation de la durée de la suspension des poursuites à 4 mois (renouvelable jusqu'à une durée maximale de 12 mois), et la possibilité de lever la suspension des poursuites vis-à-vis de certains créanciers, si cette suspension leur fait subir un préjudice excessif (unfair prejudice) ;
- la protection des nouveaux financements mis à la disposition du débiteur ;
- la mise en place de classes de créanciers ayant des droits suffisamment similaires (a minima une classe pour les créanciers chirographaires et une pour les créanciers privilégiés) ;
- une prise de décision au sein des différentes classes à une majorité inférieure ou égale à 75% ;
- la possibilité d'imposer le plan à une classe de créanciers qui l'aurait refusé (cross-class cram down), sous réserve notamment du respect de l'absolute priority rule (désintéressement intégral des classes prioritaires avant que des classes plus juniors ne puissent recevoir une distribution) ;
- la prise en compte du best-interest test, consistant à s'assurer que ne soit pas imposée aux créanciers une solution qui leur serait moins favorable qu'une distribution en liquidation judiciaire ;
- la possibilité d'imposer, sous certaines conditions, une solution à des actionnaires (notamment via la processus de cross-class cram down) ;
- la prise en compte, dans une certaine mesure, de la valeur de l'entreprise (une évaluation de l'entreprise devra notamment être jointe au projet de plan).
La proposition de directive est disponible sur le site de la Commission européenne ou en cliquant ici.
Dans l'hypothèse où elle serait adoptée, cette proposition, largement inspirée du Chapter 11 américain, entrainerait des changements significatifs des droits nationaux des entreprises en difficulté.
La France n'est classée par la Banque Mondiale qu'au 14e rang des pays européens en matière d'efficacité des procédures collectives, en raison notamment de sa préférence pour la voie judiciaire et du nombre de procédures se soldant par une liquidation judiciaire, et ce malgré le succès de ses procédures préventives.
Des adaptations de la législation française seront donc nécessaires. La Commission a principalement identifié, en ce qui concerne la France (i) la limitation de la suspension des poursuites à une durée de quatre mois prorogeable à 12 mois (contre 6 à 18 mois actuellement), (ii) la création de comités, ou de classes de créanciers séparées pour les créanciers privilégiés et chirographaires, et (iii) la possibilité d'imposer un plan de restructuration à certaines classes de créanciers ou aux actionnaires.
Les équilibres existants pourraient donc être substantiellement remaniés (même si le processus d'adoption et de transposition de la directive prendra probablement quelques années), ce qui ne devrait pas manquer de soulever de nouvelles questions passionnantes !
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